By Mangoné KA Lorsque j’ai pris connaissance de la « démission» du juge Ibrahima Hamidou Dème du Corps Judiciaire auquel il appartenait professionnellement, j’avoue avoir été bouleversé. Sa démission du Conseil Supérieur de la Magistrature pour cause de manipulations continuelles opérées par le ministre de la Justice de l’époque dans les affectations de magistrats avait recueilli mon assentiment tacite car il est des moments, dans la vie, ou un acte fort devient essentiel quand l’on veut faire bouger les choses.
Par contre, là, le regard que je pose sur lui est celui d’un père car lui et mon fils sont nés la même année. Je considère son geste comme une manifestation de refus, de noblesse et de dignité que je comprends parfaitement et que je salue mais en tant que doyen je le juge disproportionné par rapport au but visé. Pas qu’il ait tort -loin de là- mais c’est à la République de faire preuve de sérénité et de maturité face à la requête d’un jeune magistrat qui rejette les pratiques inappropriées de sa hiérarchie directe.
Je voudrais rappeler que parmi les principes généraux régissant toute démission, l’acceptation du destinataire figure en bonne place. Autrement dit, il n’y a pas démission tant qu’elle n’est pas acceptée or on verra, plus loin, que le destinataire lui-même est astreint à différentes obligations.
Monsieur le juge Dème a démissionné à travers un écrit transmis à l’autorité compétente par voie hiérarchique. Si l’on prend en compte le rythme en usage dans le fonctionnement de l’administration judiciaire, la lettre doit se trouver encore dans les locaux de la Cour d’Appel de Dakar. L’attitude responsable du Premier Président de la Cour d’Appel à laquelle je l’invite, cordialement, consiste à y bloquer le document, à convoquer M. Dème et à engager un dialogue avec lui, s’il le faut avec le concours d’autres aînés, même sur plusieurs rencontres, afin de l’amener à retirer sa lettre de démission.
Monsieur le Médiateur de la République, le ministre Alioune Badara Cissé lui aussi, doit trouver en cette situation, matière à s’impliquer car il appartient à la famille élargie de la Justice et qu’il déclare ne recevoir d’ordre de personne.
Même si l’on peut imaginer que la cohabitation future de l’avocat général Dème avec ses chefs directs au sein du Parquet de la Cour d’Appel risque de se révéler problématique, des positions, ailleurs, dans la parapublic, dans l’appareil d’Etat, en ambassade ou à l’international permettrait au pays de le récupérer dans la magistrature plus tard car demain il fera jour et le Sénégal aura besoin d’un tel homme. Le pays ne peut pas avoir tant investi pour sa formation pour se résoudre à son départ, comme ça, sans rien tenter. Quant à M. le juge Dème, je lui signale que son coup a porté, l’électrochoc a secoué le pays, son objectif est atteint ; tous les magistrats sont interpellés, publiquement, dans leur conscience. Nous sommes fiers de lui mais il n’est nul besoin qu’il quitte définitivement le métier. Il n’y a point de déshonneur à revenir sur une option quand des aînés vous le demandent. En tout cas, sa » démission » n’est pas actée pour le moment. Je lui conseille donc de fuir les interviews et autres sollicitations médiatiques.
En attendant, aucun politicien- surtout quand on n’y comprend rien- n’est admissible à lui faire la leçon. Quant à l’éviction du Chef de l’Etat du Conseil Supérieur de la Magistrature, aucun homme politique respectant la Constitution ne saurait y souscrire. Le problème de l’indépendance de la Justice ne se situe pas là. La direction de l’Union des Magistrats du Sénégal est malvenue à soutenir que M. Ibrahima H. Dème a fait le choix de partir quand d’autres ont choisi de rester pour se battre en interne. Ces propos sont déplacés et hors sujet dans un contexte ou le plus facile et le plus confortable, justement, consiste à rester…spectateur. L’UMS s’installerait davantage dans son rôle en s’investissant dans la voie de la tentative de conciliation que je viens d’évoquer plus haut.
Si l’on ne parvient pas à un arrangement, la lettre arrivera à la Chancellerie, entre les mains du ministre de la Justice. A son tour de tenter d’arrondir les angles puisqu’il n’est pas l’autorité qui doit donner quelque suite que ce soit à la lettre de démission.
Si à ce niveau le statu quo demeure, la lettre sera transmise au Président de la République seule Autorité légale habilitée à accepter ou à refuser la démission puisque c’est lui qui a le pouvoir de nommer les Magistrats (cf.Constitution). La démission ne porte pas sur une fonction mais concerne le départ d’un Corps. Pour être opératoire la démission doit être » régulièrement acceptée.
Cela veut dire que le Président de la République doit recueillir l’avis préalable du Conseil Supérieur de la Magistrature, qu’il doit prendre un décret acceptant la démission, qu’il doit y préciser la date à partir de laquelle la démission prendra effet et qu’il doit faire publier ledit décret au Journal Officiel. Si, une seule de ces étapes ou formalités n’est pas correctement respectée l’acceptation est frappée d’irrégularité.
Ce n’est qu’à l’issue de ce processus que l’on pourra dire que le juge Dème a démissionné de la Magistrature. Ce n’est pas encore le cas. Et si les fameux » besoins du service amenaient l’Autorité à placer la date de prise d’effet.. …dans un an ? Quid si la démission est refusée ? Chacun se rend bien compte qu’on pourrait ne pas être loin de l’imbroglio. Voilà pourquoi je réitère mon conseil exposé plus haut, à moins que M. Dème parvienne à convaincre que, tout compte fait, il préfère, librement, non par simple dégoût, donner une nouvelle orientation professionnelle à sa vie.
Je recommande à Monsieur le Président de la République de ne pas se scotcher à la forme de la lettre, de faire preuve de dépassement, de bien réfléchir avant d’accepter cette démission. Le Sénégal a changé et nos jeunes concitoyens ne sont plus disposés à se soumettre à tout, à n’importe quoi, à n’importe qui, n’importe comment. L’éviction de l’inspecteur des Impôts Sonko de son Corps d’origine l’a propulsé au Parlement à un niveau officiel et social supérieur à celui d’où il venait. Dieu est l’Unique Maître des destinées.
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