By Khalil Kamara Après avoir rendu le tablier, l’année dernière du Conseil Supérieur de la magistrature, Ibrahima Deme démissionne de la Magistrature.
» Il apparaît ainsi évident, que l’institution constitutionnelle chargée de garantir l’indépendance de la justice, qui était certes à parfaire, est désormais dépouillée de toutes ses prérogatives. Dans ces conditions, il s’avère impossible, d’exercer ma mission dans toute sa plénitude; c’est-à-dire, de veiller au respect du statut des magistrats, en réunion du Conseil. C’est pourquoi, après en avoir informé mon collège, qui regroupe la majorité des magistrats, je suis au regret de vous demander, de bien vouloir prendre acte de ma démission du Conseil Supérieur de la Magistrature » , s’était-il justifié, dans une lettre adressée au président Macky Sall, lorsqu’il démissionnait du Conseil supérieur de la magistrature.
Son combat pour l’indépendance de la justice se poursuit avec cette autre démission qui vient encore réconforter cette thèse de la » fragilité de la justice, une justice qui, selon M. Deme, est » livrée à elle-même; c’est une justice perdue et expose le pays en détresse » .
Voici l’intégralité de sa lettre de démission
Mes chers compatriotes,
Il y a un peu plus d’un an, je démissionnais du Conseil Supérieur de la Magistrature pour dénoncer l’instrumentalisation de cette institution par l’exécutif.
Depuis lors, la magistrature est de plus en plus fragilisée, voire malmenée de l’intérieur comme de l’extérieur. Il en est résulté une crise sans précédent de la justice qui a perdu sa crédibilité et son autorité.
Aujourd’hui, elle ne joue plus son rôle de gardienne des libertés individuelles, de régulateur social et d’équilibre des pouvoirs.
Je démissionne d’une magistrature qui a démissionné.
Cependant, je ne capitule point, car je resterai indéfectiblement attaché au combat pour l’indépendance de la justice, indispensable pour la survie de notre nation et de notre démocratie. Ce combat ne saurait en effet être celui des seuls magistrats.
Il faut néanmoins souligner que le naufrage de la justice, c’est non seulement un manquement du Président de la République à son obligation constitutionnelle de garantir l’indépendance de cette institution ; mais c’est avant tout la responsabilité d’une importante partie de la hiérarchie judiciaire qui a distillé dans le corps, une culture de soumission qui a progressivement remplacé une longue culture d’honneur, de dignité et d’indépendance.
Mais, au-delà de la justice, c’est tout le pays qui est en détresse.
Les sénégalais sont fatigués.
En effet, aucun secteur de l’économie nationale n’est actuellement épargné par la précarité.
Les sénégalais sont écrasés par le coût élevé de la vie, le chômage chronique et sont obligés de subir l’insécurité, l’indiscipline, la corruption et l’insalubrité.
Toutefois, la plus grave crise qui frappe actuellement notre société est une crise morale. Nos valeurs cardinales de dignité, d’honneur, de probité et de loyauté sont presque abandonnées au détriment du reniement, du non-respect de la parole donnée, de la trahison, du mensonge etc. qui sont cultivés par les plus hautes autorités et ce, dans la plus grande indifférence.
Les fonctionnaires qui jadis, étaient fiers et jaloux de leurs valeurs de neutralité, de désintéressement et soucieux de l’intérêt général sont désormais contraints d’adopter une honteuse posture partisane et politicienne qui est la seule permettant d’accéder ou de conserver des postes de responsabilité. Et, ceux qui refusent d’adopter un tel comportement, sont malgré leur compétence et leur probité, marginalisés et perdent de ce fait, toute motivation indispensable à la bonne marche du service public. La politique politicienne et les intérêts privés, ont désormais pris le dessus sur les intérêts supérieurs de la nation, de sorte que ceux qui décident ne savent pas et ceux qui savent ne décident pas.
En lieu et place d’une gestion transparente, sobre et vertueuse promise, on constate une gouvernance folklorique, clientéliste, népotiste, gabegique et laxiste. Nos maigres ressources de pays pauvre et très endetté sont dilapidées à des seules fins politiciennes. Nos libertés publiques, durement acquises depuis des décennies, sont désormais devenues conditionnelles. La démocratie et la bonne gouvernance ne sont plus qu’un leurre.
Chers compatriotes,
Il faudra le clamer fort, la décadence de notre société est certes la responsabilité d’une même classe politique qui nous dirige depuis des décennies, mais c’est aussi et surtout notre responsabilité d’avoir toujours laissé faire. Notre abstention est complice, notre silence coupable. Et devant le tribunal de la postérité, notre culpabilité criera plus fort que la leur.
Chers compatriotes,
Nous sommes à la croisée des chemins. Par conséquent, toutes les forces vives de la nation doivent sortir de leur résignation, de leur indifférence par rapport à la grave situation de notre pays.
Sortons de nos égoïsmes, pensons moins à conserver le confort de nos situations et remplissons plutôt nos devoirs vis-à-vis de notre pays qui nous a tout donné et que nous ne devons pas léguer, exsangue à nos enfants. Sortons de nos hésitations, vainquons nos peurs pour affronter avec courage les défis d’un Sénégal nouveau.
Pour ce faire, une nouvelle mentalité doit émerger. A vrai dire, la seule émergence qui vaille aujourd’hui, c’est l’émergence d’une nouvelle citoyenneté, l’émergence d’un patriotisme nouveau, l’émergence d’une nouvelle gouvernance, seules capables de vaincre le statu quo et de porter un développement durable et harmonieux.
Chers compatriotes,
L’avenir du Sénégal nous concerne tous, c’est donc à nous de le construire. Soyons persuadés que nous méritons mieux que notre médiocre sort. Nous devons impérativement reprendre notre destin en main en étant convaincus que notre patriotisme sincère vaincra sans doute les calculs et manœuvres des politiciens professionnels.
Ensemble, changeons le Sénégal !
Ibrahima DEME
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