Asphyxiée par les déchets, la baie de Hann de Dakar attend un programme de dépollution 0
1 janvier 1970 by Logitrans0News
By Siré Diagne Un trio de jeunes gens sort de l’eau et se met aussitôt à jouer sur le sable coloré où viennent s’échouer des vagues sombres. Derrière eux, des tas d’immondices jonchent la plage, un désastre à perte de vue. Insouciants, les trois jeunes garçons qui ont également baigné leur petit chien et leurs trois moutons, replongent sans hésiter dans ces eaux qui déversent toutes sortes de saletés sur le rivage. » Ici ce n’est pas sale, la saleté c’est de l’autre coté, regardez ! », disent-ils. A suivre leur doigt pointé, » l’autre côté » est à moins de trois mètres.
La baie de Hann, à Dakar, est un impressionnant bassin naturel qui s’étend sur 14 km, bordant les quartiers de Hann Marinas, Thiaroy, Mbao, Rufisque et Bargnie. » Jusque dans les années 1970, cette baie était l’une des plus belle au monde, capable de rivaliser avec celle de Rio de Janeiro », estime Patrick, un septuagénaire français rencontré sur la plage. Il jette un regard sur le long rivage et remue la tête : » la bordure de cette plage était plantée de cocotiers savamment rangés, l’eau était limpide, la baie était un chef d’œuvre de la nature. Il y avait plusieurs club de location de planches, on adorait cet endroit paradisiaque. »
Chef d’exploitation du Quai de pêche de Hann, Amadou Ndiaye, alias » Lipo », confirme : » Nous avons grandi avec cette baie et juste après l’indépendance, dans les années 60-70, le peuple de pêcheurs que nous sommes n’éprouvait aucune difficulté à pêcher sur le rivage. Debout sur la plage, on apercevait les poissons sauter dans l’eau tellement elle était claire. »
Aujourd’hui, tout à changé . Les pêcheurs sont obligés d’aller en haute mer pour trouver du poisson. Les années 1980 ont vu le sort de la baie de Hann scellé par l’industrialisation des quartiers alentours, aidée par la création d’une zone franche. Très vite, les entreprises ont déversé leurs déchets dans le Canal 4. Conçu avant l’Indépendance pour l’évacuation des eaux pluviales, le Canal à ciel ouvert se transforme alors en gros dépotoir d’ordures, d’huile morte, d’eaux usées en provenance de fosses sceptiques et d’autres origines domestiques.
Long d’une dizaine de kilomètres, le canal traverse plusieurs quartiers de Dakar pour venir déverser ses immondices à Hann. L’eau claire se fait toxique. Les maladies dermatologiques et diarrhéiques font leur apparition chez les jeunes du quartier, » surtout en période hivernale où ça devient presque une épidémie », raconte un infirmier du district sanitaire de Hann.
A ce jour, 60 % de l’industrie manufacturière sénégalaise est située le long de la baie de Hann et y déverse directement ses effluents pollués. A cette pollution industrielle, s’ajoute une pollution domestique. Des quartiers se sont développés à proximité, sans système d’évacuation des eaux usées. Du coup, les riverains de la baie, dissimulent souvent leurs poubelles dans l’eau mousseuse de la lessive de la veille, avant de se lever vers 5h du matin pour aller tout déverser dans la baie. » Hann est un quartier traditionnel avec des ruelles étroites et sans système d’évacuation des eaux, rendant impossible la pénétration des camions de ramassage d’ordures . Les ménagères devraient parcourir près de 500 mètres pour déverser leurs ordures dans un endroit approprié », raconte Nabou, un habitant. La baie de Hann est plus proche.
C’est en 1988 que les populations de Hann ont entamé des actions en vue de sauver la baie. Elles ont organisé la » Semaine de la baie de Hann », et y ont convié plusieurs autorités à se pencher sur la situation. Des promesses sont faites, jamais tenues. En 1999, les riverains se mobilisent à nouveau, signent des pétitions. L’année suivante, le président Abdoulaye Wade est élu et semble prendre la question au sérieux. Un conseil interministériel en 2002 entérine la dépollution de la baie et la restructuration du village de Hann : créer des rues plus larges pour laisser passer les camions de ramassage des ordures.
Pour faciliter la gestion, Hann est divisé en trois quartiers (Hann plage, Hann pêcheur et Hann montagne), chacun disposant en son sein d’un Groupement d’intérêt économique (GIE). Au total, 64 maisons seront évacuées vers des zones de relogement proches du village, au sein du quartier Yarakh. 54 maisons connaîtront une légère restructuration qui ne nécessitera pas le départ des occupants, confie Amadou Ndiaye » Lipo » par ailleurs président du GIE Hann plage.
Le programme de dépollution de la baie, dont le démarrage est annoncé comme imminent, contribuera à restaurer la qualité des eaux en finançant les infrastructures de collecte, de traitement et de rejet en mer d’une partie des effluents qui sont actuellement rejetés directement dans la Baie.
Le projet est financé par l’Etat du Sénégal avec un appui conséquent des bailleurs de fonds, notamment l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), et la Banque européenne d’investissement (BEI), à hauteur de 34,4 milliards de francs CFA (près de 53 millions d’euros).
Le projet qui doit, selon l’AFD, se terminer en 2019, concerne également la mise en œuvre du principe » pollueur-payeur » au Sénégal, afin d’inciter les industriels à réaliser un prétraitement de leurs rejets et à participer au financement du fonctionnement des infrastructures. Les travaux consistent à la réalisation d’une station d’épuration de 25 000 m3/jour, d’un émissaire marin de 3 km, d’un intercepteur de 13 km, de 7 stations de pompage, de 45 km de réseaux secondaires et tertiaires, de 10 000 branchements domiciliaires et de l’assèchement du canal 6.
A terme, la qualité des eaux de la baie sera améliorée, ce qui devrait entraîner une augmentation des gains du quai de pêche de Hann, qui fait partie des huit quais agréés par l’Union européenne au Sénégal. Son chiffre d’affaire annuel est de 5 milliards de francs CFA pour 15 000 tonnes de poissons et produits halieutiques débarqués.
L’amélioration de l’assainissement des quartiers implique que le réseau d’égouts envoie les eaux usées vers les collecteurs enterrés. Les populations vont continuer de payer des redevances eaux/assainissement avec leurs factures d’eau de la Société nationale des eaux (SDE) sans aucun changement. La qualité des eaux rejetées en mer sera vérifiée par le ministère de l’Environnement. L’office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS) assurera, quant à lui, la police des réseaux avec le contrôle de la qualité des raccordements des industries et veillera à ce que les eaux usées soient conformes aux règles d’admission au réseau.
Pour les populations de Hann qui ont longtemps attendu la réhabilitation de la baie, l’impatience est totale : » On a assez parlé de ce projet, cela fait des années que nous attendons : l’heure est maintenant à l’action ! »
Le Monde Afrique, à Dakar